L’engagement numérique : Notre avenir politique?
La révolution numérique a déjà permis à de nombreux systèmes alternatifs de voir le jour. Le crowdfunding, les réseaux sociaux, l’information indépendante et citoyenne, ne sont que des illustrations éparses de la transformation actuelle. Le M6R serait-il le symptôme de notre crise politique ?
Depuis que le Front National réussit effectivement à s’immiscer dans les différentes strates du politique, nous autres médias focalisons sur cette avancée. Certains y voient un danger pour la République d’autres une transformation de la polarisation Droite-Gauche et les partisans de l’intéressé une révolution. Certes le FN constitue aujourd’hui la troisième force politique nationale, son avancée est indéniable et nous ne pouvons pas nous passer d’une étude et d’un intérêt pour ce mouvement. Mais, nous ne pouvons éluder les autres alternatives politiques, et plus particulièrement les mouvements de Gauche qui tentent, eux aussi, de contrer un bipartisme soixantenaire.
Pour contrebalancer cette tendance je souhaite parler d’un mouvement jeune, par sa naissance en septembre 2014, comme pour son fonctionnement numérique. Cette nouvelle force politique c’est le M6R, Mouvement pour la 6ème République, lancé par Jean-Luc Mélenchon et quelques cinquante personnalités françaises. Après le remaniement gouvernemental en août dernier et son changement de cap vers une politique de l’offre, ce groupe annonce la création d’un mouvement national pour une refondation de la République et l’élection d’une assemblée constituante. Orienté à gauche, il tente pourtant de fuir les ancrages partisans en faveur d’une certaine souveraineté populaire. La base est simple : une pétition – elle compte déjà plus de 85 000 signatures – un site internet, plateforme de débat et de médiation entre ses participants, et des rencontres locales en vue de se mettre en mouvement.
Le centre névralgique de cette tendance repose sur internet et veut renouer avec une vision populaire du politique. Il a récemment élu son assemblée représentative à laquelle participèrent près de 10 000 signataires. Certains furent tirés au sort, d’autres choisis par les instigateurs du projet – une première source de conflit interne – et la majorité a été élue, par vote électronique. Au total, 188 représentants se réuniront avant l’été pour formuler un horizon concret à ce mouvement qui prend, depuis deux mois, une certaine ampleur. Nous sommes loin des millions de votants du FN et du plus grand nombre d’abstentionnistes dégoûtés de la politique mais, près de 100 000 signataires, ça commence à chiffrer et ça mérite qu’on en parle.
Un fonctionnement alternatif
Contrairement à des mouvements traditionnels, le M6R mise sur la connectivité et les réseaux sociaux pour promouvoir ses idées, aider les citoyens à partager et à se rencontrer. La plateforme « Nous le Peuple » donne voix aux interrogations et aux envies des citoyens français, quels que soient leur lieu de résidence, leur âge ou leurs idéaux. Au menu de ce mur citoyen, beaucoup de critiques du Gouvernement, du libéralisme et du patronat; rien de moins étonnant pour un mouvement très à gauche. Outre ces ferventes critiques, dont on ne jugera aucunement la pertinence, on retrouve aussi beaucoup de propositions de réunions, des conférences organisées, de l’organisation collective et des sujets d’actualité. Chacun peut participer à ce forum des idées, derrière un avatar ou formellement identifié. Qu’on adhère ou non à l’idée d’une Sixième République, quel que soit notre engagement politique on ne peut qu’admirer la foisonnance de cette agora virtuelle dont la nouveauté explique cependant un certain fouillis.
Les messages citoyens ne sont pas encore classés, les thématiques non établies et les réponses restent rares. Le compte twitter n’a, pour l’instant, guère d’actualité à relayer car ce mouvement commence tout juste à s’organiser. Son utilité relève encore essentiellement d’une plateforme de com’ au mouvement. L’Assemblée représentative va devoir prendre les choses en main pour donner une certaine légitimité à un mouvement épars mais doté d’un grand potentiel. De même, on peut s’étonner de la faible qualité des vidéos de promotions et de relais du Mouvement. Une plateforme numérique se doit de maîtriser les outils de son environnement. Enfin, qui dit internet dit « troll », ces avatars qui tentent de saboter les discussions voir le Mouvement dans son ensemble et dont la plateforme semble subir les affres. Il n’est pas facile de contrôler un espace ouvert et démocratique, mais on espère pour le M6R qu’il parviendra, peu à peu, à réguler quelque peu son fonctionnement.
Une transparence financière
A l’heure des scandales financiers au sein des partis traditionnels, le M6R joue la carte de la transparence. Il a récemment publié en ligne son relevé de comptes mettant en avant les dons de chacun, comme les dépenses, encore rares, du Mouvement. On ne peut que saluer cette démarche honnête qui rompt avec la vision de politiciens corrompus.
Cependant, ne nous enflammons pas, leurs dépenses se limitent pour le moment à des frais informatiques et à de l’impression de tracts ; les sommes restent gérables pour le quidam et il n’y a pas grand-chose qui puisse offusquer. Sur près de 15 000€ de dons depuis mars, seuls quelques 2 000€ ont été dépensés. Si la même somme est vouée à financer la réunion de l’Assemblée représentative, on se demande comment seront utilisés les fonds à l’avenir. Quelle utilisation nationale sera faite dans la mesure où il s’agit pour l’instant d’un appel en ligne ? Si le mouvement veut devenir une véritable force d’opposition, il ne pourra pas se limiter à une pétition et c’est à l’Assemblée représentative de décider aux transformations nécessaires. Nous verrons si la transparence perdurera et espérons que cet argent financera les groupes locaux qui apparaissent partout en France.
Du virtuel aux réunions locales
Le mouvement tente, avant tout, de décentraliser la politique et de réinjecter de la citoyenneté au niveau local. C’est ainsi que, à l’initiative des signataires eux-mêmes, et en partant des réseaux sociaux, de petits collectifs naissent un peu partout en France. Encore embryonnaires, certains parviennent pourtant déjà à s’organiser et à promouvoir le Mouvement, à leur échelle. C’est par exemple le cas à Lyon où le groupe compte déjà près de 80 personnes et prépare sa septième réunion.
A Paris aussi de petits collectifs de quartier émergent du M6R pour reprendre localement le Mouvement de la Toile. Je suis allé participer à l’une des réunions du Mouvement Paris XXème. Dans la salle au premier étage du Vieux Saumur à Belleville, j’ai retrouvé un petit groupe de gens attablés dans un coin, stylos en main. Une dizaine de personnes seulement étaient présentes en ce mercredi soir, mais la dernière fois ils étaient plutôt quarante me dira-t-on. Le petit groupe reflétait déjà une certaine diversité : tous âges, membres du Parti de Gauche, non affiliés, mais tous engagés pour la 6ème République. Cela suffisait pour donner une certaine émulsion. Une élue de l’Assemblée représentative était présente. Du haut de sa vingtaine, elle semblait très engagée et pressée de rencontrer les autres élus. Nous passâmes près de trois heures à discuter de l’utilité du groupe, de son mode d’action et de l’élaboration d’une charte. Ce qui semblait réunir ces individus était avant tout l’envie de changement et le besoin d’agir directement. Ils ne croyaient plus dans les institutions politiques et les politiciens les dégoûtaient.
Si les plus jeunes semblent parfaitement comprendre l’organisation en mouvement, certains ne comprennent pas vraiment la différence avec l’organisation de parti et l’indépendance vis-à-vis de la Gauche traditionnelle. Quoi qu’il en soit, chacun apporte sa pierre à l’édifice, le mot d’ordre : agir pour changer les choses ; l’idéal : une nouvelle constitution. La machine est lancée et c’est par le bas, directement dans le quartier, que leur (r)évolution politique verra le jour, toujours en suivant la tendance plus globale du Mouvement.
Si on ne peut pas encore définir ce Mouvement comme force d’opposition, un bel engouement est né de cet appel ; la simplicité de son idéal en fait un socle parfait pour rassembler. Sa relative indépendance du jeu des partis est louable, reste à voir si la base numérique soutiendra cette construction politique. En attendant parlons-en, simplement pour contrebalancer l’attraction médiatique du Front National.
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